Auvergne laïque n° 482 - septembre/octobre 2019 / IDéES

La mascarade du Brexit

par Pierre MIELE *

Tout au long des trois dernières années, les commentateurs expliquent, unanimes, que le « Peuple anglais » a choisi le Brexit, ce peuple jamais content, aux revendications hétéroclites ; pas celui des villes, satisfait de son sort, ni celui de la jeunesse tellement avide de voyages sans frontières, d’émulation et de productivité au travail, de consommation tous azimuts, et tellement consciente des enjeux écologiques ; mais celui des campagnes et celui des banlieues, inculte, conservateur, celui qui a spontanément peur de l’étranger, prêt à entraîner le pays dans n’importe quelle aventure nationaliste… Le Brexit serait une catastrophe pour l’Union Européenne et une catastrophe pour les Anglais.

Mais de quels arguments rationnels dispose-t-on pour s’en faire une idée ?

Le Brexit était certes peu souhaitable pour l’Union Européenne,

– la sortie d’un des pays membres peut inciter d’autres pays membres à sortir également d’une U.E. contestée, ou du moins d’en faire le chantage pour obtenir des conditions particulières ;

– une frontière entre les deux Irlande ne peut pas être rétablie sans risquer de ranimer un conflit entre elles  ; les gouvernements anglais ont beau jeu d’en brandir la menace ;

– l’Angleterre n’est pas la Grèce ou le Portugal… Elle est une puissance économique et financière capable de concurrencer celle des plus grandes puissances européennes, la France, l’Allemagne ; outre la nécessité de pérenniser des accords de coopération en cours sur des grands programmes industriels, militaires, il y a celle de conserver au business européen l’accès au marché du Commonwealth, et celle d’éviter un accord déloyal des anglais avec l’ami américain qui n’attend que cela.

Mais en fait, le Royaume Uni n’avait encore jamais adhéré à un projet européen commun !

En restant en dehors de la zone Euro et de la zone Schengen, il n’a jusqu’ici souscrit qu’aux avantages de la libre circulation et de l’union douanière pour le commerce ; il a conservé son autonomie budgétaire et échappe ainsi aux règles budgétaires de la Commission ; il a conservé son indépendance en matière de législation du travail et sur l’accueil ou non des immigrés.

En 1979, Margaret Thatcher, avait obtenu un rabais sur la participation de son pays au budget communautaire, et en 2016, c’est en réclamant une révision des Traités pour obtenir de nouvelles dispositions financières et anti-sociales plus favorables à l’Angleterre libérale que Cameron a menacé l’UE de la sortie par référendum. Alors, que veulent encore les pouvoirs anglais qu’ils pensent obtenir par un Brexit, avec ou sans accord ?

L’U.E. saura-t-elle bien résister au chantage ? Après avoir espéré un non-respect du choix des électeurs britanniques, n’a-t-elle pas tout accepté sous réserve d’un accord sur la frontière irlandaise, dont un délai renouvelé contre toute logique au-delà des élections du Parlement européen !

Peut-on encore prétendre que le Brexit a été un choix du peuple anglais ?

… ou pire, que ce peuple ou du moins une plus large partie, serait devenu nationaliste ?

1- les Britanniques ont certes décidé le Brexit par référendum, à 52%, mais près de 30% d’abstention  ;

2- les jeunes auraient voté plus massivement contre ? Les 18-25 ans qui ont voté, ont voté contre le Brexit à 72% pour 48% globalement mais ils n’ont été que 36% à se rendre aux urnes pour 72% globalement ! Les ouvriers auraient-ils massivement voté pour le Brexit ? la manipulation des chiffres par les commentaires est la même que pour les jeunes !

Les citadins des grandes villes et les ruraux ont voté dans des proportions symétriques, ce qui semble bien refléter la symétrie de leurs niveaux de vie moyens respectifs.

3- on constate qu’au bout de trois ans, les partis politiques anglais se sont finalement tous peu ou prou ralliés au Brexit, ne se déchirant plus guère que sur la question d’une sortie avec ou sans accord avec l’U.E., cet accord ne portant guère que sur la frontière avec l’Irlande ;

Alors… Le Brexit résulte-t-il d’une adhésion grandissante aux idées nationalistes effectivement diffusées, ou du renoncement d’un électorat désespéré par sa classe politique.

Le peuple anglais pâtira-t-il du Brexit ?

– bien avant que le Brexit soit effectif, la situation sociale des anglais est très dégradée (précarité des emplois, absence de couverture sociale) ; les services publics  quasi inexistants ; et les inégalités sont parmi les plus fortes en Europe  !

– les grands organismes financiers mondiaux (banques, FMI, agences de notation,…) n’envisagent les conséquences du Brexit que sous l’angle de possibles spéculations (mouvements boursiers, retrait des investisseurs, délocalisation des sièges, …) et baisse de la croissance et donc baisse des revenus et augmentation du chomage, (voir par exemple « les 13 conséquences « concrètes » du Brexit » énoncées par CNEWS du 12 aout 2019)… ; apportant ainsi la preuve, s’il en était besoin, que le Monde n’est dans leur raisonnement qu’un jeu de Monopoly dont les bénéfices sont concentrés et les éventuelles pertes distribuées ;

– la Livre Sterling fait l’objet de spéculations mais se porte encore bien, la City n’a toujours pas à craindre une absorption par Paris ou Berlin, les exportations vers les pays d’Europe demeurent florissants (profitant de la baisse de la Livre !) .

Alors,… L’hypothèse la plus vraisemblable n’est-elle pas que le Brexit ne changera rien au sort des anglais dans leur immense majorité, ni celle des plus modestes, ni celle des plus riches…

Une conclusion

Tout se passe comme si les relations entre l’U.E. et le Royaume-Uni ne dépendaient réellement ni de l’opinion publique, de toutes façons manipulée, ni des dirigeants élus ou des candidats à l’être dont l’avis sur le sujet relève plus de tactique électorale que de projet politique.

Seul semble bien compter en revanche le rapport de force économique et financier : l’influence des organismes financiers mondiaux et les stratégies des entreprises multinationales (pour la localisation de leurs sièges par exemple).

Le jeu des partis et leader politiques que nous content les medias ne serait donc qu’une mascarade : celle de partis divisés cherchant à maintenir leurs sièges, et n’ayant d’autre ambition que servir et pérenniser un système ultra-libéral où seule la recherche du plus grand profit compte. Comme dans d’autres social-démocraties libérales, ces partis jouent sur les peurs et les croyances pour obtenir des votes sans adhésion aux programmes politiques. L’Europe et les migrants ont servi de boucs émissaires pour Cameron puis pour tous ceux qui lui ont succédé, comme explication des difficultés sociales, des salaires bas, de la précarité. Et Corbyn de tergiverser.

Le monde des affaires s’apprête, lui, à remplacer les accords de l’U.E. par des accords bilatéraux avec les pays d’Europe, à commencer par la France et l’Allemagne ! L’U.E. devra régler la question des frontières sur le modèle des frontières avec la Suisse, Irlande oblige, mais surtout libre circulation oblige !

Et l’on continuera à parler anglais dans les rencontres internationales.

*Article extrait du Cahier n°19 « L’Europe entre désir et réalité« , publication du Cercle Condorcet de Clermont-Ferrand, à paraître.