Auvergne laïque n° 485 - juillet 2020 / FORUM

Les chamailleurs de Fourmies et autres chenapans du premier mai

Alain Bandièra

Tout avait bien commencé en ce premier mai 2020 par un discours « aux petits oignons » du président Macron à l’intention de tous ceux – ouvriers, bénévoles, associations – qui s’étaient mobilisés pour secourir – et sauver – leurs semblables, et avaient permis à la Nation de tenir bon face à l’épidémie. L’éloge du président sonnait juste et ne sombrait ni dans la polémique ni dans l’auto-satisfaction ; le « nous » dont il usait ne relevait pas d’un pluriel de majesté mais bien plutôt d’une citoyenneté partagée : « Ce premier mai ne ressemble à aucun autre. Privés des rituels de cette journée, nous en éprouvons aujourd’hui toute la valeur et tout le sens… »

         Devenu la fête internationale du travail, le Premier Mai, c’est, depuis la manifestation des origines, en 1886 à Chicago, la longue histoire d’importantes conquêtes ouvrières : la création, par le gouvernement Clémenceau, en 1906, d’un ministère du travail destiné à répondre aux revendications des travailleurs ; la journée de 8 heures accordée peu avant le 1er mai 1910 ; le caractère férié et chômé du ler mai soustrait à la devise pétainiste et reconnu en 1948.

         Emmanuel Macron pourtant est allé trop loin ; la connivence avec le monde du travail sombre dans une démagogie insupportable, où le mépris l’emporte, une fois de plus, sur l’estime affichée envers les citoyens, évoquant « une volonté forte, celle de retrouver dès que possible ces Premier Mai joyeux, chamailleurs parfois, qui font notre nation. Nous les retrouverons ces premier mai heureux, ensemble, unis ».

         Et c’est pêcher lourdement contre l’histoire que de négliger avec autant de désinvolture (ou d’ignorance?) la répression violente, parfois meurtrière, qui s’est exercée contre les manifestations revendicatives ouvrières, et dont Zola témoignait dans son roman « Germinal », prophétisant ainsi la fusillade de La Ricamarie.

         Comme le discours de Macron, tout avait bien commencé à Fourmies, petite ville textile du nord, où quelques centaines d’ouvriers organisent le 1er mai 1891, malgré la présence de l’armée, une manifestation « festive » pour réclamer la libération de leurs collègues grévistes emprisonnés dans la mairie ; en fin de journée les soldats tirent sur la foule, la fusillade se solde par neuf morts, dont quatre jeunes femmes et un enfant ; l’événement restera à jamais inscrit dans la symbolique du premier mai, conférant aux grévistes, le statut de martyr.

         Ces chamailleurs ne sont pas les seuls à avoir payé de leur vie un combat au service de leur dignité de travailleurs contre un patronat inflexible campé sur ses privilèges. Le 1er mai 1906, à Paris, une manifestation violente qui réclame la journée de huit heures se solde par 800 arrestations et beaucoup de blessés (la troupe a été mobilisée par Clemenceau). A Hambourg, 6 000 ouvriers, qui fêtent et chôment ce 1er mai, sont licenciés. La répression marque, dès son origine, l’esprit et l’histoire de cette grande date. A Chicago. Le 3 mai 1886, une grève éclate à la suite de la manifestation du 1er mai qui n’a pas permis aux ouvriers d’obtenir la journée de 8 heures revendiquée ; des affrontements provoquent la mort de trois ouvriers ; le 4 mai une bombe fait quinze morts parmi les policiers. Ces événements vont entrainer la condamnation de 3 ouvriers à des peines de prison à perpétuité, et 5 à la pendaison. Ils seront tous réhabilités.

         C’est à tous ces joyeux lurons que la classe ouvrière doit d’avoir gagné un peu plus de justice dans ses conditions de travail, et sans doute un peu plus de respect : les manifestations du premier mai ont longtemps fait peur aux journalistes et aux bourgeois, et on imaginait l’ouvrier arborant un couteau entre les dents plutôt que un brin de muguet dans la main. Aujourd’hui encore, les chamailleurs n’ont pas ménagé leurs efforts et ils ont, à leur tour, exposé leur vie. Ils méritent mieux qu’une apologie paternaliste ; ils méritent sans doute mieux qu’une prime ; et le président de notre République a grand besoin de relire notre histoire afin d’y déceler le vrai sens de l’épopée des premiers mai, et la postérité de leurs combats.